Régine Garcia: Passage obligé.

Publié le par magali duru






15 mai 2008 :
C’est une manie chez moi de tout noter. J’adore les cahiers, les agendas. Chaque jour, je dessine des petits soleils, des nuages ou des gouttes de pluie. Ou alors, j’écris un mot, une phrase, un bout de ma vie. Quand je relis des années plus  tard, ça me fait…pleurer, le plus souvent…
Le stylo entre les doigts, j’attends Arnaud. C’est pas lui qui va me dicter sa loi ! Il me connaît vraiment pas. Faut dire que je lui ai pas laissé le temps. Après quelques mois de soi-disant fréquentations –on travaille dans la même brigade depuis début novembre– Arnaud vient sonner chez moi, alors que je l’ai même pas invité ! Il se prend pour qui ?

19 mai 2008 :
Ce matin, à travers le judas, j’ai vu Arnaud, habillé de noir, tiré à quatre épingles. Je l’ai ignoré. Ça lui fera les pieds d’attendre un peu ! Il croit m’impressionner mais je ne suis pas ce genre de filles qui se laissent séduire, à cause de quelques billets passés sous le nez. C’est vrai que j’ai apprécié les restaurants et les soirées dans les pubs. Un vrai gentleman, c’est lui qui payait l’addition ! Mais ça ne suffit pas. Non, moi, il me faut des preuves ! Et des preuves solides ! Pas de belles paroles, seulement des actes. J’ai pas confiance. Quand on me complimente, je sais que c’est pour se moquer ou pour me demander quelque chose. Y en a qui sont malins, ils me demandent pas tout de suite. Mais moi, je les attends au tournant…J’ai vu Mr Bollard ce matin qui m’a dit « Si vous êtes méfiante, c’est parce que votre père vous a  abandonnée ». Qu’est-ce qui racontent comme conneries ces psys. Si les hommes mentent, c’est à cause de l’abandon de mon père ? Pfutt, n’importe quoi… du moment qu’il me remplit ma feuille de maladie, je le laisse parler.

24 mai 2008 :
Il fait chaud, j’étouffe dans cet appart. La fenêtre est fermée, à cause des klaxons et des gaz d’échappements qui me piquent les narines. J’ai vraiment trop chaud. Qu’est-ce que ça va être en juillet ! J’avale un Lexomil pour me calmer. Je vais me mouiller le visage dans le lavabo de la salle de bain…
Ça va pas mieux. Je bois un énième café et j’allume une cigarette. Arnaud n’est pas revenu depuis la semaine dernière. Finalement, peut-être qu’il est sincère ? Mais faudra qu’il le prouve alors…
26 mai 2008 : C’est amusant de faire des ronds de fumée, avec la bouche. À ce petit jeu, je me débrouille comme un chef…Je fais n’importe quoi quand je m’ennuie. Je sursaute. On sonne à la porte. Tout doucement, je me lève. C’est lui, c’est sûr, ça ne peut être que lui ! Mon cœur cogne dans ma poitrine. Sans faire de bruit, je colle mon œil écarquillé, sur le judas. Merde ! C’est pas lui, c’est Martine, la voisine. Sur la pointe des pieds, je repars m’affaler sur le canapé. Martine continue de sonner. En plus, elle insiste ! J’ai pas envie de la voir, j’ai pas envie de parler. Elle a pas encore compris cette emmerdeuse ? Elle a pas autre chose à foutre? Si je lui parle deux secondes, tout l’immeuble est au courant. Elle sait exactement ce que tout le monde fait ici, qui couche avec qui et pourquoi.

29 mai 2008:
C’est peut-être aujourd’hui, mon  jour de chance…Arnaud avait l’air de bonne volonté pourtant…Toujours le premier à me rendre service. Il ne joue pas dans la catégorie tombeur mais, je lui trouve du charme…J’ai envie d’un café ? Pas de problème, il va au distributeur me l’acheter. Besoin d’une cigarette ? Il sort son paquet plus vite que les autres. Toujours le premier à me dire bonjour et à me complimenter.  Ma parole, il croit que je suis une conne ? Moi, j’ai vu clair dans son manège. J’en ai connu des dizaines d’hommes dans son genre. Il est gentil tant que je ne couche pas. Après, il me jettera comme une vieille chaussette. Avant que ça arrive, c’est moi qui vais fixer les règles du jeu…

3 juin 2008 :
Ça sonne ! Je sursaute comme une enfant pris en flagrant délit de vol de bonbons dans le placard de Mémé. Si c’est Martine, je l’envoie balader vite fait, bien fait. Je crie de loin « C’est qui ? », « C’est Arnaud ». Avec nervosité, je pose le stylo et je referme le cahier.
Puis, j’ouvre la porte, un petit peu. Juste assez pour qu’il rentre, et je la referme aussitôt. J’espionne au judas si la porte d’en face bouge. Pas de problèmes, tout est tranquille. Martine n’a rien entendu. Normal, c’est l’heure de son feuilleton Les feux de l’amour. Je demande à Arnaud « T’as croisé quelqu’un ? » « Non ». Ouf ! Je lui offre un café. Il s’assoit sur le bord du canapé, un peu coincé. Il inspecte les lieux.
Faut dire que je ne suis pas une folle du ménage ! Des tasses de la veille traînent un peu partout. Les cendriers débordent de mégots. L’odeur de la cendre froide flotte dans l’air chaud. Son regard inquisiteur se balade sur les meubles poussiéreux. Ses yeux vont du buffet à sa tasse et font un continuel va-et-vient. Il desserre le col de sa chemise. Il transpire. Il regrette déjà d’avoir sonné à ma porte. Mais c’est trop tard !
Il veut m’avoir dans son lit, il se sacrifiera. Il me faut des preuves. Et des preuves solides ! Notre amour doit être aussi magnifique que celui de Roméo et Juliette, le couple idéal pour moi.
Pour se donner une contenance, il sort de sa poche un paquet de Marlboro et m’en propose une.  Avec sa tête de chien battu, j’ai pas su lui dire non…Nous avons fumé en silence. Puis, j’ai pris soin d’écraser la mienne, dans le cendrier. Arnaud gigote, mal à l’aise dans son pantalon de lin blanc. Il transpire de plus en plus.  Il tire des grosses bouffées de sa cigarette qui se consume trop vite. Il en rallume une autre, juste après.
Il croyait que je me donnais un genre. Il a cru à un jeu de ma part. Maintenant, il comprend que je suis différente des autres femmes. C’est pourtant ÇA qui lui a plu en moi. Il a pressenti, mais sans vraiment toucher du doigt, qui j’étais réellement.
J’habite Paris, dans un deux-pièces à Saint Germain des Prés, où j’exerce le métier de policier. J’attends une preuve ! Une belle preuve d’amour !
Ahuri, Arnaud fixe le mur grisâtre. J’ai mon arme de service pointée sur sa tempe. Je me redresse, tout doucement, un coussin à la main. C’est un test que je fais. S’il m’aime...





Régine Garcia

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L
j'y pense, j'y songe ...
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R
Non, Laurence surtout ne tire pas !!! Je vous promets d'y réfléchir ;)
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M
<br /> Laurence, vous n'avez pas mieux à faire qu'à viser votre petite camarade, hm? Un texte sur le passage à terminer, par exemple?<br /> <br /> <br />
L
Ah, mais oui, c'est très frustrant tout ça ! Régine, va-t-il falloir utiliser la méthode forte ( le pistolet sur la tempe, par exemple ? ) pour obtenir la suite ?  !!!
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R
Je n'y avais pas pensé mais qui sait...
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J
Suspens !
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