Franck Garot: Le poker au-delà du hasard d'Alexis Beuve

Publié le par magali duru

« Moins on parle, et bien souvent mieux l'on pense » disait Charles-Augustin Sainte-Beuve.
La maxime d'Alexis Beuve pourrait être « Moins on parle, et bien souvent mieux l'on joue ».
Bien sûr,  les conseils que donne son traité de poker (ou plutôt ce qui va devenir LE traité de poker de référence) sont beaucoup plus subtils...
Ecoutons sur le sujet Franck Garot, qui sait de quoi il parle, puisqu'il a mis la main à la pâte.






VLADIMIR. – Ils étaient là tous les quatre.
Et un seul parle d’un larron de sauvé.
Pourquoi le croire plutôt que les autres ?
En attendant Godot, Samuel Beckett
 
Pourquoi citer la pièce de Beckett pour préfacer, puis présenter un traité technique sur le poker ? Tout simplement parce que j’y vois des points communs avec la démarche d’Alexis Beuve.

Dans les deux cas, quatre personnages attendent, Godot pour les uns, une partie de poker pour les autres. Ces deux événements n’arriveront pas : Godot ne viendra pas et la partie n’aura pas lieu. On ne saura jamais qui est Godot. Dieu ? La Mort ? Peu importe. Il est la raison de cette attente, et l’attente le sujet principal de la pièce ; elle perdrait tout son sens s’il venait finalement. À l’inverse, dès le début de la pièce, nous savons quelle partie les personnages – et le lecteur – attendent : celle qui verra l’un d’entre eux battre les trois autres après que ceux-ci lui auront enseigné tout leur savoir sur le poker. La partie n’aura pas lieu puisqu’il reviendra au lecteur de la jouer, et de la gagner.
Autre point commun : l’ambition des auteurs. À la première de la pièce, on cria qui au génie, qui au scandale: les règles du théâtre classique étaient bafouées, le langage trop vert, les  thèmes trop dérangeants, ennui et pauvreté de la condition humaine ne motivaient pas. Aujourd’hui, la pièce est un classique et son auteur a reçu le prix Nobel de littérature. Alexis Beuve n’aura pas le prix Nobel mais son livre marque déjà le milieu pokérien.

Il y dénonce l’approche rationnelle du poker, donne des outils mathématiques et financiers pour gagner de l’argent, revisite des concepts présentés dans l’Illusion du hasard, son premier livre, comme celui de « la centrale nucléaire », en introduit des nouveaux tels « l’attendrissement », le « calibrage », propose une méthode « colorée », etc. Il fallait bien 768 pages, un pavé dans la mare, en somme.
Enfin, à l’instar de Beckett, Alexis Beuve a choisi la forme du dialogue. Il a réussi ce tour de force de donner une personnalité à chacun des protagonistes : Jean-Pierre, Évariste, Cire et Ludo sont différents, avec leurs forces, leurs défauts, leurs attitudes, leur langage propres, une crédibilité qui les rend indubitablement attachants. Si bien que malgré leur complexité, les concepts abordés par l’auteur deviennent lisibles, accessibles.


PS:
Malgré la comparaison qui précède, Le Poker, au-delà du hasard n’est tout de même ni un roman, ni une pièce de théâtre. Alexis Beuve n’est pas écrivain. Son intention est didactique, son domaine n’est pas (encore) la littérature mais les livres sur les jeux, il s’adresse aux joueurs de poker et leur promet qu’après la lecture de ce livre, ils n’aborderont plus leurs parties de la même façon.
Mais je mise même mon tapis qu’un jour, le traité lu, compris et appliqué, vous reconnaîtrez les personnages autour des tables, la fiction rejoignant la réalité, fantasme de tout écrivain et pourrez donner son nom à chacun des quatre larrons.
 
Franck Garot

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Le Poker, au-delà du hasard, d' Alexis Beuve,  éditions Praxeo, seconde édition,768 pages, 59 euros.
 
NDLR:  59 euros, mais un bon investissement., alors? ...

Note du 2 octobre: la seconde édtion est arrivée de chez l'imprimeur, qu'on se le dise!





Publié dans Lector in fabula

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