Xavier Garnerin: un texte inédit....

Publié le par magali duru


- Ah ah, petits voyous, dit mon père devant la cheminée.

Comme à son habitude, et quoique étant à la maison, il avait conservé vissé sur sa tête son haut-de-forme.

- Ah ah, continua-t-il en glissant ses mains dans les poches de sa robe de chambre, savez-vous que demain je vous emmène faire une partie de pédalo ? Vous en dites quoi, les lascars ?

Et, dans l'attente de notre réponse, il tendit un peu plus sa mule vers le feu, dont, sans doute parce que nous restions cois, la semelle se mit à faire des bulles, puis à grésiller, puis à fondre. L'odeur d'un vague produit pétrolier se mêla à celle de la fumée des bûches et tout ceci, s'échappant plus ou moins par le conduit de la cheminée, permit à ma mère de dire, du haut de ses charentaises fermement posées sur le sol :

- Mais, Henri, mais quelle bonne idée. Pourrais-je venir avec vous afin de prendre des photos pour notre album ?

- Hors de question, répondit mon père. Il s'agit là d'une histoire d'hommes. Ce n'est pas que je n'aurais plaisir à ce que vous vous en mêliez, mais ces choses-là supposent, pour être vraiment crédibles, un côté... comment dire... un côté clanique.

Puis, à notre grand soulagement, il décroisa les jambes et tendit son autre babouche à la braise.

- Ah, dit ma mère, si vous le pensez ainsi.

- C'est ainsi que je le pense, femme, dit mon père, et de le penser ainsi j'imagine que tous ici s'en trouvent satisfaits.

- Nous n'aurions jamais espéré cela, dîmes-nous un peu réglés comme des montres.

- L'affaire est donc faite, dit mon père réjoui. Allons donc nous coucher, car demain nous attend l'aventure.

Ce que nous fîmes, puis mon père, seul, passa un temps décoller ses pompes du carrelage.

Dans nos lits, à défaut de films à la télévision moderne, nous rêvions à rebours aux carreaux benoîts et bien peints de quelque fusée possible, en fins tintinotologues.


*


Nous fûmes au lac vers la fin de la matinée, mon père conduisant notre Talbot familiale à grands coups de levier de vitesse par de petits chemins, car, nous expliquait-il souvent, « pour connaître, il faut connaître », raison pour laquelle nous nous perdîmes plusieurs fois dans la campagne rase et peu amène qui nous séparait du théâtre de nos futurs exploits.

Mais enfin, comme à son habitude, la chose se fit et nous finîmes par rallier notre destination.

Des dieux sans doute, et pas ceux de la volonté ou de l'idiotie chronique, mais plutôt de la chance peureuse, devaient folâtrer comme d'habitude, ces petits déloyaux, dans les bosquets.

- Ah, dit mon père, voyant se profiler en hauteur le vaste parking propret du bas du sentier forestier par lequel nous abordâmes la base nautique, je crois que nous grimperons ces quelques mètres à pied, vous savez, les garçons, les voitures aujourd'hui ne sont plus ce qu'elles étaient et d'ailleurs, à quoi bon s'échiner à parfaire, vu que nous repartirons par le même itinéraire, maintenant que j'ai tout compris.

- Garçon, dit-il au type qui écoutait un France Inter grésillant dans la cahute du matériel de louage, un pédalo, s'il vous plaît.

- Sec ou on the rocks ? répondit le type qui avait l'air sympa.

Nous enviions sa désinvolture.

Un silence se fit.

- C'était une blague, expliqua le type en prenant le bloc des fiches de location à remplir, et l'air sérieux.


Xavier Garnerin

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P
J'adore Xavier Garnerin !!!!!(oui, je radote, et je ne progresse pas d'un poil. J'adore, épicétou !)Kiki :-)
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